contrôler vs. guider

Oct 17, 2025
Le monde est en train de traverser une profonde transformation, notamment en ce qui concerne les postes de direction, l’éducation et l’enseignement. Même si cela ne semble pas toujours évident au sommet de la scène mondiale, le nombre des personnes qui cherchent un nouveau modèle de leadership augmente.
Autrefois, il s’agissait avant tout d’avoir une volonté forte et de contrôler un système de manière à ce qu’il avance droit vers un objectif précis. Mais plus l’énergie de l’Éros s’élève dans notre société, plus il devient clair que de nouvelles qualités de leadership sont nécessaires. Des qualités fondées sur l’écoute et la prise en compte des différentes parties du système. C’est seulement ainsi que les forces de chacun peuvent être pleinement développées et mises en valeur. C’est précisément là que réside la différence entre l’être humain et l’intelligence artificielle : en nous sommeille un désir profond d’épanouissement, et plus cet élan peut se déployer, plus les talents de chacun émergent.
Pour comprendre ce renouveau, il me semble essentiel de distinguer clairement le contrôle du fait de guider. Car même si cette différence semble aller de soi, il arrive souvent que nous cherchions à garder le contrôle, alors qu’il serait bien plus juste de véritablement guider.
 

le contrôle

Le contrôle naît de la peur. La peur que les choses ne se passent pas comme nous le souhaitons. Alors nous nous accrochons. Nous serrons notre emprise, nous nous cramponnons à une chose et nous forçons le résultat désiré.
Ne te méprends pas. Je suis totalement en faveur de prendre la responsabilité de sa propre vie : si tu veux quelque chose, fais les démarches nécessaires et n’attends pas que cela te tombe dessus par hasard.
Mais il y a des choses qui échappent à notre main. Vouloir les gérer ou les maîtriser à tout prix, c’est du contrôle.
 

Le guidage

En revanche, le fait de guider repose sur une sécurité sincère et une clarté déterminée. Les actions qui émanent d’un guidage parlent d’espoir et non de peur. Elles sont pour quelque chose, et non contre quelque chose. Elles sont prises parce que nous croyons vraiment en ce que nous poursuivons. Un guidage est intègre, honnête et jaillit des profondeurs de notre cœur.
 

1. Les sentiments

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La plupart d’entre nous ont appris très tôt que maîtriser nos émotions était un signe de maturité. Mais c’est tout le contraire. Nous pouvons diriger nos actions, mais pas nos sentiments. Le plus souvent, ce sont les sentiments «négatifs» - colère, envie, jalousie ou tristesse - qui posent problème. Tenter de les contrôler ne fait que les réprimer, ce qui n’est rien d’autre que les refouler dans notre subconscient. De là, ils ont encore plus de pouvoir sur notre pensée et nos actions - sans que nous nous en rendions compte. La véritable maturité émotionnelle consiste à découvrir pour soi-même la manière dont on peut exprimer ses sentiments et leur donner de l’espace.
 

2. une équipe

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Guider des personnes se fait de manière ouverte et flexible. D’un côté, la conviction qui sous-tend les paroles et les actions se ressent, mais de l’autre, elle inclut la conscience que les êtres humains sont irrationnels, multiples et changeants. S’adapter à eux et les comprendre, dans le but de favoriser l’atteinte de l’objectif, est indispensable.
Les personnes qui guident avec clarté sont comme un sommet dans la tempête, mais en même temps, elles sont prêtes à changer de cap si le processus l’exige.
 

3. l’éducation

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Autrefois, l’éducation consistait dans la plupart des cas à rendre l’enfant «fonctionnel». Cela signifiait un avenir sûr avec un emploi stable. Mon cœur saigne quand je pense à combien de petits génies ont été contraints de jouer des rôles qui ne leur correspondaient pas, et combien de merveilles du monde nous ont ainsi échappé.
Dans l’éducation, il s’agit de prendre en compte l’enfant entre règles et responsabilité personnelle. Le laisser explorer comment il peut trouver sa place dans cette vie, un endroit où il pourra s’épanouir.
Nous ne pouvons pas savoir ce qui est le mieux pour notre enfant. Mais si nous le guidons bien, nous lui donnons tout ce qu’il faut pour découvrir une vie qui lui correspond vraiment.
 

4. l’enseignement

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C’est dans cette partie que j’ai le plus de mal à adopter une perspective extérieure résumée, car d’une part, je pourrais écrire des pages entières sur les possibilités de l’enseignement, et d’autre part, mes déceptions les plus profondes y sont enfouies.
L’enseignement n’est pas si éloigné de l’éducation, à la différence près que le cadre et les contenus sont différents.
Nous sous-estimons souvent l’influence que les enseignant·e·s peuvent avoir sur leurs élèves, tant dans le positif que dans le négatif. Moi j’ai grandi dans un système scolaire où l’enseignement se faisait par le contrôle. Les structures imposées étaient comme un moule dans lequel il fallait se mouvoir. L’objectif était de fonctionner d’une manière très précise dans un système très précis.
Heureusement, j’observe aujourd’hui de grands changements.
La base d’un bon enseignement repose bien sûr sur la compétence et la passion. Il nous faut cet éclat dans les yeux pour pouvoir enthousiasmer les autres. C’est une condition pour transmettre avec intégrité, qui elle-même est la pierre angulaire de la conviction.
Les compétences interpersonnelles et émotionnelles ont longtemps été éclipsées par la force d’autorité et la rigueur. Guider ne signifie pas contraindre l’élève à adhérer à une idée précise. Il s’agit plutôt de stimuler les structures de pensée afin qu’il apprenne à travailler par lui-même. Il s’agit d’aiguiser sa perception, d’ouvrir son horizon à la recherche autonome de solutions individuelles. Car aussi clairs que nous soyons dans une discipline, nous ne pouvons jamais vraiment savoir quelle approche est la bonne pour une autre personne. Nous pouvons seulement partager nos convictions et aider les élèves à reconnaître les leurs.
Nous apprenons le mieux des personnes avec lesquelles nous pouvons nous identifier. Pour cela, il faut passer du principe d’autorité à une communication honnête de notre propre faillibilité. L’authenticité est la clé qui peut transformer les enseignant·e·s en modèles inspirants, plutôt qu’en idoles idéalisées.
Je suis convaincue que l’enseignement peut changer le monde, car il nous donne un accès profond aux êtres humains. Que ce soit à l’école, au lycée, à l’université ou au conservatoire, ce sont des lieux où nous pouvons enthousiasmer les gens, stimuler leur imagination et les aider à se dépasser. C’est là que le changement peut se produire, motivé par la curiosité et le dévouement. C’est là que les individus apprennent à se former eux-mêmes et à trouver leur propre chemin dans ce monde.
 

5. la trompette

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La plupart penseront probablement d’abord au guidage dans le jeu avec d’autres musicien·ne·s, mais cela correspond plutôt à la catégorie «l’équipe», où les membres du groupe représentent les différentes voix. Le guidage dans le jeu musical est un ressenti pour lequel je n’ai pas encore trouvé de mots capables d’en exprimer toute l’intensité et la richesse.
 
Dans cet exemple, il s’agit donc bien plus des processus mentaux intérieurs liés au jeu de trompette. Je ne peux parler qu’à partir de ma propre expérience de trompettiste, mais cela s’applique en réalité à tout instrument.
Quand la peur ou le doute prennent le dessus sur notre décision de faire de la musique, nous réagissons par le contrôle plutôt que par la guidance.
La guidance, dans ce cas, est la manière dont j’entre en contact avec mon corps et mon esprit pour pouvoir transmettre la musique. Mais que cela vienne de la guidance ou du contrôle fait toute la différence.
Le contrôle, c’est comme un poing serré : il tend, il fige, il ferme.
Sur le plan physique : lorsque nous contrôlons, nous contractons des muscles dont nous aurions en réalité besoin détendus pour jouer.
Sur le plan mental : la musique ne peut pas résonner si nous essayons de contrôler chaque note. Cette tentative est aussi absurde que celle de se réjouir de manière contrôlée. L’intensité d’un véritable élan de joie ne se manifeste que lorsqu’il peut être libre. Il en va de même pour la musique.
 

6. faire l’amour

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Chacun est libre d’avoir ses propres préférences, et si ce n’était pas pour Internet, je pourrais en philosopher des pages entières. Ici, je souhaite seulement inviter à peut-être écouter un peu son corps et à prendre conscience de la différence entre contrôle et guidage.
Je pourrais donner l’exemple de la danse en couple, puisqu’il s’agit essentiellement d’une collaboration corporelle entre deux personnes. Mais je suppose que moins de mes lectrices et lecteurs ont de l’expérience en danse de couple qu’en sexe. De plus, je décris ici des sensations plus profondes que ce que l’esprit peut ordonner : un lieu où le désir peut nous conduire, où la pensée se fait plus discrète et la perception corporelle plus présente.
 

 

Comment passer du contrôle au fait de guider ?

 

Lâcher le contrôle

Lâcher le contrôle demande du courage - celui de se laisser aller à l’inconnu. Lorsque nous cessons de laisser le mental vouloir diriger la vie, nous ouvrons les bras à tout ce qui vient vers nous. Être prêt·e à ce que notre vie puisse changer en une seconde, c’est être prêt·e à rencontrer la vie elle-même.
 

La confiance

Ce qu’il faut, c’est la confiance. La confiance en soi, en ses capacités, en ses choix ou en les autres.
Mais, à mes yeux, il existe une confiance encore plus profonde : la confiance en la vie. Je ne parle pas ici d’une confiance naïve, celle qui voudrait croire que tout ira bien ou que tout se déroulera selon nos désirs - car c’est tout simplement faux. C’est justement cela qui rend la vie si incroyablement passionnante (et oui, parfois difficile…).
Je parle de la confiance que la vie continue toujours. Qu’il y aura toujours des solutions, des rencontres, des chemins — même si nous ne les voyons pas encore.
La base de cette confiance, c’est la conscience que, peu importe la situation à laquelle nous faisons face, nous avons toujours la liberté de choisir comment y répondre.
 

La condition essentielle

Nous devons être conscient·e·s de notre pouvoir de décision, car c’est la seule chose sur laquelle nous pouvons vraiment compter - la seule que nous ayons véritablement entre nos mains.
Car parfois, des événements surviennent de manière inattendue ou douloureuse. Nous faisons face à des situations pour lesquelles nous ne sommes pas préparé·e·s, à des personnes qui bouleversent entièrement notre vie.
Mais quoi qu’il arrive, et aussi difficile que cela puisse paraître, nous avons toujours un choix.
 

De ma vie

J’ai beaucoup d’énergie, un monde intérieur intense, un fort logos (je ne parle pas ici de la partie liée à la rationalité ou à l’ordre…) et souvent une idée très claire de ce que je veux. Je suis donc vite prête à traverser toutes les montagnes pour atteindre mes objectifs - non sans oublier parfois complètement mon bien-être en chemin.
Et quand j’arrive de l’autre côté, pleine de frustration et avec un peu moins de confiance en moi, je sais que je me suis contrôlée, et non guidée.
C’est ici que nous pouvons apprendre de l’éros : faire une pause. Prendre en compte le système dans son ensemble. Lâcher prise et laisser aux choses l’espace et le temps d’être, d’émerger, de se développer, de se révéler.
Oui, il se peut alors que la vie prenne une autre tournure que celle que nous avions imaginée.
Mais la vie ne se contrôle pas. Nous ne pouvons que guider, avec patience, finesse et empathie, ce qui est réellement entre nos mains.
Les choses qui viennent du cœur se réaliseront toujours - peut-être pas de la manière ni avec le résultat que nous aurions souhaités, mais elles se réaliseront.
 
Lâcher le contrôle peut signifier des choses très différentes selon les personnes.
Pour certain·e·s, c’est un acte de libération : laisser aller le contrôle, c’est se détacher de la quête de perfection et du besoin constant de s’adapter aux attentes des autres.
Pour moi, au contraire, il s’agit plutôt de lâcher le contrôle pour laisser place à l’adaptation. Après avoir, ces derniers mois - voire ces dernières années - brisé presque tous les schémas existants, il s’agit maintenant de reconnaître quelles règles pourraient finalement m’être bénéfiques.
Aucune des deux directions n’est meilleure que l’autre. Même si, dans notre société, les personnes qui s’adaptent beaucoup semblent avoir de meilleures cartes en main, il ne faut pas sous-estimer la pression et la fatigue qu’entraîne cet effort constant de plaire - alors qu’à la source se cache souvent une douleur profonde.
L’essentiel est simplement de savoir où nous en sommes, et de nous guider avec délicatesse vers l’endroit où nous souhaitons aller.
Car, quelles que soient nos particularités, elles ne sont rien d’autre qu’une réaction de protection face aux expériences que nous avons vécues.
 
Je pense que chacun a une place dans ce monde, un endroit où il ou elle se sent à sa place - chez soi.
Après avoir passé ma vie entre les mondes, sans jamais vraiment trouver où j’appartenais, je réalise peu à peu que ma place se trouve justement dans cet entre-deux.
Il s’agit donc pour moi de découvrir, avec douceur, quels aspects de certains concepts ou règles me conviennent et lesquels non.
Le tout ressemble un peu à une tentative maladroite de garer une voiture.
En ce moment, ça donne à peu près ça :
un pas en avant - doute - encore un pas en avant - grand doute - un pas en arrière - un demi-pas prudent en avant - Inès satisfaite - deux pas en avant - crise émotionnelle - un pas et demi en arrière - un pas en avant - etc.
 

1. Improvisation

Je ne me reconnais dans aucun style musical existant. Je peux apprécier chacun d’eux, mais aucun ne reflète entièrement mon expression musicale. Ce que je sais, c’est que je me sens chez moi dans l’improvisation. De quelle manière, dans quel style, avec quelles personnes…? Aucune idée.
Après m’être libérée de toutes les règles au cours des derniers mois, tout en gardant seulement les bases quotidiennes, il s’agit maintenant de rassembler les pièces de mon puzzle. Qu’est-ce que je peux garder de ce qui existe déjà, et où est-ce qu’il vaut mieux que je suive mon propre chemin ?
Dans mes observations, je vois des personnes passionnées par des musiques très différentes, chacune avec ses avantages et ses inconvénients.
Et je les comprends toutes.
Où est-ce que je me situe, moi, là-dedans ?
Probablement quelque part entre les deux.
 

2. Trompette

La qualité dans la musique résulte de la quête de la perfection.
(Lorsque je parle de perfection, il est important pour moi de préciser qu’il n’existe pas de perfection absolue. Ni en musique, ni dans aucune autre forme d’art. La recherche de la perfection nous permet simplement d’affiner notre perception et de distinguer des nuances de plus en plus fines. Un travail qui n’est jamais achevé.)
Pour moi, lâcher le contrôle signifie laisser place à l’adaptation - c’est-à-dire à la perfection. Cela peut sembler absurde, surtout pour un esprit formé à la musique classique, mais la partie de moi qui cherche à se protéger de la nécessité de rentrer dans le cadre résiste à cette perfection. Avec mes doutes, elle tire de concert dans la direction opposée.
Lorsque je pratique consciemment, je n’ai bien sûr pas pour objectif de devenir moins bonne, mais ces deux voix dans mon subconscient tirent obstinément sur le frein.
Même si elles ne m’ont pas rendu la vie plus facile, je dois reconnaître qu’elles ont fait leur travail. Durant mes études, je n’aurais pas pu l’admettre, mais aujourd’hui, je comprends de plus en plus que mes efforts pour comprendre mes collègues ont demandé beaucoup plus de temps et de passion que ceux consacrés à comprendre la musique classique.
L’incarnation de l’adaptation pour moi, c’est le concerto pour trompette en mi bémol de Joseph Haydn. Ce qui compte ici, ce n’est pas la pièce en elle-même, mais la signification subjective qu’elle a prise au fil des années pour moi.
(Petite explication pour les non-musicien·ne·s : c’est la pièce que chaque trompettiste connaît par cœur. Maîtriser cette pièce avec un certain niveau de perfection est, dans la plupart des cas, un prérequis pour obtenir un poste dans un orchestre.)
D’un côté, j’ai passé des années à peaufiner cette pièce, et de l’autre, mes deux petits freins dans le subconscient menaient leur propre rébellion contre Haydn, «dont nous ne voulons en aucun cas qu’il nous dise ce que nous devons faire».
Aujourd’hui, plus je définis mes propres règles et structures, adaptées à mes besoins et à mes forces, plus les deux se calment et me laissent chercher la qualité.
Je vois Haydn comme mon «boss final», auquel je reviendrai peut-être dans quelques années, lorsque j’aurai trouvé mon équilibre entre mon propre chemin et l’adaptation, et que je serai prête à me plier ponctuellement à une consigne musicale.
Pour pouvoir me guider dans mon jeu de trompette, j’ai besoin - comme expliqué plus haut - d’une idée musicale claire. À ce stade, elle est loin d’être claire.
Alors je laisse le processus se dérouler, je réduis patiemment le contrôle et je construis ma propre idée musicale.
 
Et pourquoi est-ce que je raconte tout cela ?
Je l’avoue, je me suis un peu égarée sur le thème du perfectionnisme…
Mais il s’agit pour moi de la difficile équation entre une société qui s’enferme dans le contrôle obstiné de la performance et une société qui aspire à de grandes choses avec passion - guidée par un leadership capable de reconnaître cette différence.
Je ne suis pas la seule personne dans ce monde à avoir du mal à rentrer dans les systèmes, à suivre des règles ou à fonctionner selon des cadres.
Il n’y a ni bon ni mauvais, ni mieux ni moins bien - mais il est temps d’arrêter de nous contraindre tous dans un modèle unique et de commencer à ouvrir le monde pour chacun et chacune.
C’est ainsi que nous pourrons trouver pour chaque personne - aussi différente soit-elle - une place où elle pourra agir et s’épanouir.
C’est ainsi que nous apprendrons à nous compléter et à collaborer en systèmes fonctionnels et tournés vers l’avenir.
 

Un immense merci à ma meilleure amie Isi, dont la quête de perfection m’inspire chaque jour et à chaque collaboration ! ❤️